Cet article a été d’abord publié par AgriUrbain, le Carnet de recherche du Laboratoire sur l'agriculture urbaine (AU/LAB)
Avec plus d’entreprises agricoles urbaines par habitant qu’à Paris, Vancouver et Toronto[1], Montréal est une pionnière en agriculture urbaine (AU) et une ville où foisonnent les initiatives dans ce domaine. C’est d’abord avec la mise sur pied des premiers jardins communautaires dans les années 70 et le déploiement du programme dans les décennies suivantes que Montréal est devenue un précurseur en AU[2]. Depuis les dernières années, ce sont plutôt les projets d’AU commerciale qui ont le vent dans les voiles. On assiste en effet à la multiplication de ces nouveaux projets, avec aujourd’hui plus de 45 entreprises agricoles urbaines à Montréal[3]. Les potagers individuels sont aussi très nombreux dans la Ville et constituent un apport alimentaire non négligeable pour ses habitants[4].
Malgré tout, ce ne sont pas tous les Montréalais qui ont accès à une parcelle cultivable sur leur terrain, et les 98 jardins communautaires[5] de la Ville affichent pour la plupart complet – ainsi que de longues listes d’attente. Visant entre autres à combler les enjeux d’accès aux espaces cultivables, les jardins collectifs ont fait leur apparition dès la fin des années ‘90, et les initiatives citoyennes sur le domaine public ont suivi peu après. Ces projets d’agriculture urbaine sociale et collective (AUSC) sont une avenue intéressante afin de démocratiser la pratique de l’AU. Ces initiatives, qui se déploient maintenant sous toutes sortes de formes (jardins collectifs, pédagogiques, institutionnels, etc.), proposent des parcelles à cultiver en commun et permettent donc l’accès à des espaces cultivables aux personnes qui n’ont pas le terrain, les ressources, les connaissances ou même le temps de s’en occuper seules.
Si l’on comprend la pertinence de telles initiatives à Montréal, on ne connaissait cependant pas l’ampleur du phénomène. En effet, la dernière recension, où l’on comptait 75 jardins collectifs, date de 2010[6]. Si l’on veut favoriser le déploiement des projets d’AUSC dans la métropole, il est d’abord nécessaire de comprendre ces initiatives et les organismes qui les portent. C’est donc dans ce cadre que s’inscrit ce portrait des initiatives d’AUSC dans l’agglomération de Montréal. Ce portrait a été constitué à partir de diverses sources d’informations publiques : bases de données, sites internet d’organismes, rapports annuels, entre autres. Certaines informations ont aussi été validées directement auprès des organismes porteurs de projets.
Un total de 240 initiatives d’AUSC ont été recensées dans l’agglomération de Montréal. De ce nombre, 162 projets sont portés par un seul organisme, et 78 par plus d’un groupe, pour un total de 217 acteurs participant aux projets d’AUSC à Montréal. Les initiatives soutenues par de multiples acteurs semblent être plus couramment issues d’un partenariat entre deux organismes, avec 64 projets de ce type, alors que seules 14 initiatives résultent d’une collaboration entre trois acteurs ou plus.
Si les jardins portés par de multiples acteurs sont courants, il est aussi commun pour un organisme de soutenir plus d’un projet, soit en partenariat avec d’autres groupes, ou par lui-même : près de 30 organismes s’occupent de plus d’un projet. D’ailleurs, quelques acteurs se démarquent particulièrement à ce niveau : à eux seuls, les sept organismes portant le plus de projets cumulent plus de 70 initiatives d’AUSC.
Parmi tous les projets d’AUSC relevés, on recense un peu plus de 140 jardins collectifs, c’est-à-dire ceux où une parcelle de terrain est cultivée en commun par des membres inscrits ou des bénévoles, parfois sous la supervision d’un responsable ou animateur horticole.
Soixante projets entrent plutôt dans la catégorie de jardins pédagogiques : ils possèdent une vocation éducative et sont généralement situés sur le terrain d’une école primaire ou secondaire. Une quinzaine d’initiatives institutionnelles sont recensées : on les retrouve dans des établissements de santé, des entreprises ou des cégeps et universités et sont gérés par un groupe d’employés, d’étudiants ou par une personne dédiée. On compte aussi une dizaine de « jardins libres », où les récoltes sont ouvertes à tous, même à ceux ne participant pas au projet.
Figure 1. Initiatives d’agriculture urbaine sociale et collective, selon le type d’initiative.
Le nombre élevé d’initiatives et d’acteurs relevés en AUCS se reflète dans une grande variété de types d’organismes et de missions. D’abord, on remarque que la majorité des acteurs participant à l’AUSC sont des organismes à but non lucratif (58%), alors que 23% sont des organismes publics ou parapublics (écoles primaires ou secondaires publiques, cégeps et universités, établissements de santé, etc.) On retrouve aussi des coopératives d’habitations ou logements sociaux (10%), des regroupements citoyens sans statuts formels (5%) et quelques entreprises (3%), entre autres.
Les acteurs participant à l’AUSC œuvrent dans des domaines très diversifiés: on retrouve des organismes en réinsertion sociale; des centres de la petite enfance (CPE); des hôpitaux; des organismes en employabilité, et même des églises. Malgré cette grande diversité, certains types d’organisations sont plus nombreux : les établissements d’enseignement primaire et secondaire ont été recensés le plus souvent (40 établissements), suivis des regroupements d’habitations, tels que les logements sociaux, à loyers modiques, résidences et coopératives d’habitations (29 groupes) et des organismes œuvrant en sécurité alimentaire (27 organismes).
Cependant, en termes de nombre d’initiatives, ce constat est très différent : les organismes soutenant le programme écoquartiers, malgré leur petit nombre d’acteurs (10), ressortent comme étant les plus engagés en AUSC avec plus de 50 projets, suivis de près par les organismes en sécurité alimentaire (49 projets) et les écoles primaires et secondaires (42 projets).
Au niveau de la répartition des initiatives d’AUSC sur l’île de Montréal, un constat est frappant : un très grand nombre de jardins est concentré dans un très petit nombre d’arrondissements. En effet, plus de la moitié des jardins (64%) sont situés dans six arrondissements : Côte-Des-Neiges-Notre-Dame-De-Grâce (43 initiatives); Rosemont-Petite-Patrie (30); Villeray-St-Michel-Parc-Extension (27); Ville-Marie (18); Ahuntsic-Cartierville (18) et Mercier-Hochelaga-Maisonneuve (17). Ce constat peut s’expliquer en partie par le fait qu’on retrouve dans ces arrondissements quelques organismes qui sont très actifs en AU et déploient un grand nombre de projets sur leur territoire respectif. Seule exception : Mercier-Hochelaga-Maisonneuve, où l’on dénombre un grand nombre d’initiatives portées par une multiplicité de plus petits acteurs. On recense aussi un nombre non négligeable d’initiatives dans les arrondissements de St-Laurent (14), du Sud-Ouest (13), du Plateau Mont-Royal (11), Lachine (9) et Verdun (8). Cependant, très peu d’initiatives, voir aucune, n’ont été recensées dans les autres arrondissements ainsi que dans la plupart des villes liées. En fin de compte, près de 90% des initiatives d’AUSC de toute l’agglomération de Montréal se retrouvent dans les 11 arrondissements mentionnés.
Figure 2. Répartition spatiale des initiatives d’agriculture urbaine sociale et collective, selon les différents arrondissements de Montréal.
À travers ce portrait, d’autres variables ont été récoltées, telles que la superficie des jardins et l’utilisation des récoltes. Ces informations n’étaient pas disponibles pour l’ensemble des initiatives recensées, mais les données relevées nous permettent tout de même de tirer quelques constats. En termes de superficie des projets, on remarque que ceux-ci varient énormément d’une initiative à l’autre : on retrouve des projets composés d’à peine quelques bacs ou sacs de géotextiles (le plus petit répertorié étant de 4m²), jusqu’à des projets de 1 000m2.
Les récoltes semblent être le plus couramment partagées entre les membres ou bénévoles des jardins. Dans plusieurs cas, les récoltes sont cependant remises en tout ou en partie à des OBNL œuvrant en sécurité alimentaire. Finalement, plusieurs utilisent aussi les récoltes dans les activités de leur organisme, par exemple dans les cuisines collectives, lors de repas communautaires ou pour des dons. Certains jardins font aussi de la vente à travers des paniers économiques ou un marché solidaire. Finalement, on retrouve aussi quelques jardins où la récolte est libre, c’est-à-dire que les passants peuvent s’approvisionner directement au jardin.
Ce portrait nous permet d’avoir une meilleure compréhension de l’écosystème des initiatives d’AUSC à Montréal et démontre que ces projets sont nombreux et très diversifiés quant à leur domaine d’intervention, leur mission et leur fonctionnement. Si l’on compare ce portrait à celui de 2010, alors que 75 initiatives étaient comptabilisées, on voit bien que l’AUSC s’est considérablement développée sur le territoire. De nouveaux acteurs, tels que les organismes environnementaux portant le programme des écoquartiers, ont multiplié les initiatives et ont grandement contribué au développement de l’AUSC. Si la croissance du nombre d’initiatives est encourageante, leur présence se révèle cependant très inégale à travers les arrondissements. Comme nous avons pu le voir, quelques arrondissements sont très actifs au niveau de l’AUCS, mais pour un grand nombre d’entre eux, on ne recense aucune ou très peu d’initiatives. Si l’on peut attribuer ce nombre élevé dans certains arrondissements à la présence sur le territoire de quelques organismes très dynamiques en AUSC, on peut aussi s’imaginer qu’on y retrouve des conditions facilitantes pour le déploiement de telles initiatives. Les arrondissements encore peu actifs à ce chapitre auraient tout intérêt à mettre en place des conditions gagnantes pour le déploiement de ces initiatives et ainsi permettre à leurs résidents l’accès à ces projets et leurs bienfaits. À cet effet, il serait pertinent que la Ville-centre soutienne les arrondissements dans ce cheminement en mettant en place une politique structurante, qui favoriserait le déploiement de tels projets sur le territoire.
L’agriculture urbaine est reconnue pour de multiples vertus : maintien de la biodiversité; réduction des îlots de chaleur; bien-être physique et psychologique; accès à une alimentation de qualité[7], etc. L’AUSC, plus particulièrement, peut avoir des retombées significatives au niveau de l’intégration et de la cohésion sociale, de la sensibilisation et du développement des compétences, entre autres. Comme on le remarque à travers le portrait, l’AU est effectivement utilisée dans une grande variété de contextes : comme outil pédagogique dans les garderies et les écoles; pour favoriser le bien-être dans des hôpitaux et CHSLD; dans des programmes de réinsertion sociale ou professionnelle; pour l’accès à des aliments sains et économiques dans des organismes en sécurité alimentaire, et tant d’autres.
Favoriser le déploiement d’initiatives d’AUSC sur le territoire, c’est donc favoriser la résilience de la ville, la qualité de vie et le bien-être des populations. Pour être en adéquation avec la vision de la ville et favoriser une transition socio-écologique juste et équitable, il est cependant essentiel de permettre le déploiement de ces initiatives sur l’ensemble du territoire, et ainsi permettre à tous les Montréalais, peu importe leur arrondissement, l’accès à ces projets et leurs retombées significatives.
![]() |
![]() |
![]() |
Dupont-Rachiele, C., E. Duchemin, J. Utgé-Royo, 2020, L’agriculture urbaine à Montréal : portrait des initiatives sociales et collectives, Laboratoire sur l’agriculture urbaine / Conseil SAM, [En ligne] URL: https://agriurbain.hypotheses.org/5119
[1] Bernier, A.-M., É. Duchemin, P. Roy (2021) Portrait de l’agriculture urbaine commerciale au Québec en 2020. Carrefour de recherche, d’expertise et de transfert en agriculture urbaine / Laboratoire sur l’agriculture urbaine, 37 p.
[2] E. Duchemin, F. Wegmuller and A.-M. Legault, 2008, Urban agriculture: multi-dimensional tools for social development in poor neighbourghoods, Field Actions Science Reports, Vol. 1,
[3] Bernier, A.-M., É. Duchemin, P. Roy (2021) Portrait de l’agriculture urbaine commerciale au Québec en 2020. Carrefour de recherche, d’expertise et de transfert en agriculture urbaine / Laboratoire sur l’agriculture urbaine, 37 p.
[4] Duchemin, E et N. McClintock, 2020, L’apport alimentaire de l’agriculture urbaine sociale aux villes, en temps de crise : le cas de Montréal, Carnet de Recherche AULAB, AgriUrbain : [En ligne] URL : https://agriurbain.hypotheses.org/4739
[5] Eric Duchemin, Fabien Wegmuller et Anne-Marie Legault, « Agriculture urbaine : un outil multidimensionnel pour le développement des quartiers », VertigO – la revue électronique en sciences de l’environnement [En ligne], Volume 10 numéro 2 | septembre 2010, mis en ligne le 24 septembre 2010, consulté le 13 février 2021. URL : http://journals.openedition.org/vertigo/10436 ; DOI : https://doi.org/10.4000/vertigo.10436
[6] Collectif de recherche sur l’aménagement paysager et l’agriculture urbaine durable (CRAPAUD), 2010, Répertoire des initiatives en agriculture urbaine à Montréal.
[7] Boily, M-É. (2012). L’agriculture périurbaine et urbaine au Québec : État de situation et perspectives. Direction de l’appui au développement des entreprises et de l’aménagement du territoire, ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation.